vendredi, mars 31, 2006

l'énergie des seuils



l’œil qui me regarde est une planète
une porte ouverte
un autre monde

le vent vineux a perdu sa pitié pour les pierres
la peau saigne dans toutes les directions
au centre
partout
des brutes aux brins dardés s’en vont gêner leurs brus
des cœurs en papier se plient et se déplient sans rêves
des charrettes désertiques quittent des bagnes désertés

[ au centre on pourrait tout voir si on était un point
si on était rien ]

dehors
fatigué par la peau
l’esprit tuméfié
au centre on pourrait tout voir
je ne sais pas quand je parle ou quand j’ai peur
et si sur le fond des tasses
se lisent
les vies en fuite
rien
mes émotions
mes péchés
élastiques
brûlants
je veux mon évasion
mettre toutes ces viandes les unes dans les autres
par défi pour les bouchers
m’asseoir sur ces supplices
ces surfaces indésirables
sans vice
sans plus d’acide
je veux
cacher mes transes à l’ombre de ton sourire
m’en aller suivre un voyageur immobile à la trace

[ au centre on pourrait tout voir si on était un point
si on était rien ]

à califourchon sur la crasse de mon canon crétin
le soleil me nuit le soir venu
les mouvements sont des stations impuissantes
au centre on pourrait tout voir
au bord de la nuit j’ai mon mot à dire
je serre un bout d’oreille qui s’étire à l’infini mais n’entend plus rien depuis longtemps

toi
dans des prisons tristes tu t’envoles
voyages en deux dimensions
tu -
j’éteindrai mes paroles sans étreindre ton corps de paille

[ au centre on pourrait tout voir si on était un point
si on était rien ]

en vue d’éviter la perte
je recherche
l’unité utile
les membranes vidées même du manque
des stances épileptiques agitées dans les airs
triste, tardive sous le vent la goutte de mort
qu’aucun d’entre nous ne verra jamais
même pas la quête de l’amour
les signes - leur morale d’ailleurs - qui nous épuisent
j’ai perdu la vie dans tes réponses - des constructions abstraites
autrefois j’ai juré fidélité à mes prisons
sans espoir d’arriver à bon port

[ au centre on pourrait tout voir si on était un point
si on était rien ]

au centre on pourrait tout voir
sur le pont d’un avenir d’eau froide
un inconnu
voyageur magnifique
nu ou couvert de boue
en l’air le soleil s’envoie la lune en douce
les astres s’exhibent et défient la décence des braves
un désert de pressions glacées entoure un oeil
posé sur une assiette plate
aussi invisible et intouchable que la main de Dieu ou les restes d’amour entre les restes d’hommes

et si sur le fond des tasses se lisent les vies
enfuies
et si les rythmes ont pris la tangente à l’horizon des raisons
les murs travaillent
effrénée la fin recommencera

j’adieu demain en pleine transparence
des morceaux de meurtre stockés sur nos langues
enfourche un cheval pâle
la face éclatée en millions de morceaux

[ au centre on pourrait tout voir si on était un point
si on était rien ]

harnachés de lumières
tes yeux lèvent des questions - un moment de pure vérité -
et les acteurs jurent crachent
lèvent les yeux et meurent

au centre
se rhabiller
calmement


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dimanche, mars 26, 2006

Dolls


ah oui tiens je ne sais pas si vous connaissez.
putain de bon film, par l'immense takeshi kitano

non, rien.

aujourd'hui...

des lignes impeccables pour des vies en rose
et quelques informations élémentaires

je n'ai pas trouvé Hitler dans mon coeur
sa moustache reste toutefois bien présente
au fond de ma tasse de thé
et dans les espaces entre les lignes

j'opère des détournements à tour de bras parce
qu'il faut bien sentir quelque chose
les moments sont inégaux et
le temps file bien-pensant

à l'antenne des petits pois politiciens à cervelle
politisent et débattent
politisent et débattent
politisent et s'éclatent

il faudrait couper le son
ou exposer en éventail le fond de nos gorges
pour que la sagesse commune y déterre l'oseille

bof... j'avais envie de ne rien dire
d'ailleurs ça fait un petit moment que ça dure

lundi, mars 20, 2006

Elles disent... # 1

Elle dit :

J’essaie de vous échapper…

Je cours. Putain de petite créature parano de merde. Ton sexe m’assaille. On croyait pouvoir me réchapper… Je n’ai pas l’imaginaire heureux ; je ne vois pas où j’en arriverais. Mes préjugés m’étouffent. Je suis un violent rejet de moi-même.

Si le temps veut m’assassiner il a beau courir : je cours plus vite que lui même en dormant. Je n’aime pas les hommes, je n’aime pas les femmes, je n’aime pas grand chose. Mensonges ; toujours mensonges. J’aime à peu près tout, si ce n’est les idées que je me fais. Le réel me fuit. Celui-là c’est mieux qu’un sprinter si on veut filer la métaphore. Ça n’intéresse personne : le jour ne s’arrête pas, aucun arbre ne va se pencher sur mon passage. Je suis une naine enfermée dans un corps trop grand, mais je ne cours plus après personne. C’est mieux comme ça.

J’ai envie de toi.

Tu es loin alors j’assume et je masturbe, je masturbe un corps qui ne veut pas se laisser faire. Qui a toujours la tête ailleurs. C’est mieux comme ça. J’embrasse des hommes qui fondent un peu trop vite, j’embrasse des hommes qui ont la tête ailleurs. C’est encore mieux comme ça. Chacun plonge dans son infini personnel, la remontée est toujours difficile. On n’échappe à rien en revenant.

Mon corps glisse entre d’autres mains. Les moments me portent de l’un à l’autre parce que la solitude corporelle c’est plutôt difficile. Je ne crains pas l’ennui, mon esprit s’occupe en chimères : c’est plus facile comme ça.

J’ai une érection de tout mon moi. Je ne sais plus parler, je me cabre. J’ai vu par où m’enfuir alors un peu de calme m’envahi.

Le matin ne demande pas grand chose… Ce n’est que l’absence de ton café qui me perturbe. Ça sent bon dans ton lit. Ça sent toi et moi… courbaturés.

C’est trop facile de se battre soi-même… En battre un autre c’est déjà un cran de plus, mais battre tout le monde : alors c’est l’envolée !

Je dis des conneries : la violence est laide, sauf quand elle s’incarne dans ta bouche. C’est un peu la même énergie, probablement des fils voisins dans le cerveau. Ta queue m’immole et j’adore ça. J’ai beau hurler à la féminité de reprendre ses droits, elle n’en a rien à foutre, elle adore foutre la pauvre.

Voilà une ivresse dont on se lève gênée…

Les autres femmes posent problème. Que penser? On dit que les femmes sont des traîtres. La patrie du sexe n’en sait trop rien. Probablement que dans cette guerre-là c’est chacun pour soi… mais moi j’étais pour toi.

Le jour, je ne sais plus où m’endormir et le soir, alors je ne le veux plus. J’aime bien le soleil ; c’est une bonne chose, mais c’est tellement chaud qu’on dirait que je vais m’évanouir. C’est pas bon signe quand il fait encore trop clair les jours gris…

Pas de panique : c’est juste que la lumière est blanche ces jours-là.

J’ai pas envie de continuer sans cesse la même chose. Sauf peut-être une seule qui me prend d’un seul mouvement et transcende tous mes sens :

Ainsi, c’est la jouissance.

Hymne à ta fougue que rien n’arrête.

Hymne à mon désir pour toi que tout attise.

Tu m’embêtes ; tu me casses la tête. Je t’aime trop sans réponse.


(de Mademoiselle Cabana, Elles disent, pour l'instant inédit)

samedi, mars 11, 2006

Neil Young vs. the Roots



Coup sur coup, vu:
- Heart of Gold , de Jonathan Demme: concert filmé de Neil Young en août 2005 à Nashville, pour la première de Prairie Wind, son dernier album, avec plein de monde dont Emmylous Harris et certains des musiciens qui l'accompagnent depuis, quand même, Harvest (1972)
- Dave Chappelle's block party , de Michel Gondry, un autre concert filmé: le comédien dave chappelle invite tous ses potes rappeurs et musiciens à venir jouer sur un trottoir de brooklyn. ça donne une mégateuf où 5000 personnes se pointent pour se bouger le train avec les roots, erykah badu, mos def, kanye west, talib kweli, et la fanfare de l'université de l'ohio... bref le gratin du hip hop mondial sur un coin de trottoir. les roots sont décidément le meilleur groupe du monde.

La comparaison est assez intéressante, entre d'un côté un concert dans un temple de la country, très ancré dans une tradition, assez nostalgique mais d'une nostalgie qui ne blesse pas et ne sombre jamais dans le sirupeux, de l'autre un OVNi pas non plus complètement dans son époque, puisque le projet était de ressusciter l'esprit de ces fêtes de malades qui avaient lieu au coin des rues de Brooklyn dans les années 70, où tout le monde participait, des maîtresses d'école aux papys timbrés, des p'tits jeunots badasss aux p'tites minettes qui ne s'en laissaient pas compter...

Heart of Gold, histoires de l'enfance de papy young, comment son père lui offre son premier ukulélé, évocation des plaines du manitoba, etc; où papy young se révèle comme le gars qui a traîné sa scoliose, parle du passé qu'il connaît bien et qu'il ramène sans jamais sombrer dans le ronflant, avec une flamme dans les yeux bien réelle, et cette flamme-là rend le passé qu'il nous envoie bien présent et tout le truc bien vivant. On voudrait l'avoir comme grand-père, ou mieux, l'inviter à boire une bière sur notre porche. Moi j'avais un peu perdu la foi depuis la musique qu'il avait fait pour Dead Man (1995) de Jim Jarmusch, improvisations hallucinantes à la guitare sale et à l'orgue, et dernière fois où il m'avait mis totalement à genoux: depuis j'avais été au mieux déçu (Silver & Gold), au pire irrité (Are you passionate?) par ce qu'il avait à proposer. Jusqu'à ce Prairie Wind sorti l'année dernière, l'album d'abord, puis le film. Et là je m'incline à nouveau: ce n'est pas vraiment qu'il est au sommet de son art, mais se dégage de ces chansons une fragilité, une urgence dont ses derniers albums étaient un peu dépourvus: ce qui depuis dix ans commençait à ressembler à des recettes un peu grosses, monotones et chiantes revient à la vie dans les chansons de prairie wind, lourdes d'une sincérité et de joie d'être là après toutes ces années, à faire de la musique avec des potes de 30 ans... Il faut aussi dire que papy a failli y passer l'année dernière à cause d'un méchant anévrisme, et que son père est mort après quelques années de démence sénile. J'imagine que ça remet certaines choses en place...
Film recommandé donc. Pour les costumes aussi: on pourrait facilement croire que ça été fait dans les années 70, entre deux journées de tournage du Nashville de Altman (un des films les plus irritants de l'histoire du cinéma), à voir la tronche des robes d'Emmylou et les chemises des musiciens: mais ça ne fait pas de mal, plonge le film dans une certaine intemporalité intéressante. Bref, recommandé

De l'autre côté de l'Amérique, Brooklyn, on nage en plein délire d'époque. Mention spéciale pour les afros d'Erykah Badu et ?uestlove et puis quand même pour ceux que ça intéresse...
La reformation des fugees... Ce film est une hallu totale, la teuf du siècle. courez-y !
quant à moi je pense passer les dix prochaines années de ma vie comme groupie des roots (spécialement ?uestlove). Il faudra aussi penser à se pencher sur l'oeuvre de Talib Kweli et Mos Def, de la divine Erykah, et des autres... Un film pour lequel on devrait supprimer les fauteuils dans les cinémas: parce qu'il faut un minimum de place pour danser, quand même...

Voilà voilà. ça fait qu'c'est ça qu'nous v'là là...

lundi, mars 06, 2006

aristocrazy

publié dans libé du 4 mars (et légèrement modifié quand même pour la forme - aucun mot n'a été changé...)

jardinage avec la duchesse
soixante-dix ans d'expérience sécateur en main. Les tulipes à robe rayée, ses fleurs préférées de printemps à Paris, «your grace» ­ reçoit droite comme un «I»
le thé avec Hitler, comment était-ce ?
sans ciller: «Voulez-vous dire "quelle marque de thé" ?»

C'était en 1936. 16 ans. venue en Allemagne rendre Unity dingue d'Adolf Hitler. Les retrouvailles dans l'appartement du Führer : « brun et blanc. salle de bain, initiales AH brodées.»

La duchesse mousse, «comme toutes ces choses humides». Désormais, elle n'est plus «la dernière ».

Unity en Angleterre, décochait des «Heil Hitler» à son adolescence, épousa à Berlin Hitler et Goebbels, embrasse communiste à 19 ans. Militante antifasciste, elle partit avec ses droits civiques et fit scandale dans l'Amérique maccarthyste. Auteur de best-sellers, dont l'unique extravagance fut de se marier en noir, de retour d'une soirée peuplée de militants communistes, la duchesse envoya à sa soeur une photo d'elle et de son mari en grande tenue ducale, avec au dos cette légende : «Andrew et moi en train de militer.»

En privé, Hitler lui a fait l'impression d'un type falot. Elle regrette de n'avoir jamais rencontré Elvis Presley, a fait deux fois le pèlerinage à Graceland.

Rien ne semble lui avoir fait perdre Unity, une balle dans la tête en apprenant la déclaration de guerre de l'Angleterre à l'Allemagne. «L'être humain est infiniment a table, et il faut accepter la vie telle qu'elle est».

a dit son ami : «C'est quelqu'un dont j'apprécierais la compagnie un jour de grand désastre.»

La duchesse a écrit un livre de recettes qui commence par ces mots : «Je n'ai pas fait la cuisine depuis la guerre. J'ai lu très peu de livres, et les terminer m'a coûté tant d'efforts que j'ai fait le serment de ne plus jamais en commencer un autre.»

Peut-être pense-t-elle tenir l'atroce ce brin d'excentricité qui est la politesse de l'aristocrate. Quand il se promène dans le jardin d'autrui, «le vrai jardinier fixe son regard sur une quelconque petite plante, ravi si elle n'a pas l'air en forme et triomphant si elle est morte».